Le miroir aux alouettes des achats « Low-Cost »
Dans beaucoup d’entreprises la mode est encore aux achats en pays « Low-Cost » et ce malgré la forte dépendance extérieure mise en évidence lors des crises successives.
Mais que veut dire « Low-Cost » ? Et est-ce bien là une façon d’optimiser le fonctionnement d’une entreprise et les gains financiers qu’elle peut réaliser ?
« Low-Cost » devrait se traduire par « Meilleurs coûts » or, dans la pratique actuelle, il se traduit bien souvent par « Meilleurs prix ». Quelle différence entre prix et coût me direz-vous ? Le prix est indiqué sur le produit lorsque vous l’achetez, pas son coût. Si on prend l’exemple d’une voiture, le prix d‘achat est clair. Mais quid de son coût quand il faudra faire le plein, l’assurer, changer ses pneus, l’emmener au garage …
D’un point de vue industriel, 2 coûts doivent être considérés. Le premier est le coût livré (ou landed cost en anglais). Le deuxième est le coût de possession (ou Total Cost of Ownership – TCO en anglais). Voici 2 exemples très parlants pour illustrer ces 2 notions :
Exemple pour le coût livré :
Certains fournisseurs lointains « Low-Cost » vont proposer des prix 25% moins élevés qu’un fournisseur Européen pour le même article car ils proposent principalement un prix livré sur leur quai d’expédition (incoterm EXW pour EX Works – « à l’usine » et incoterm – définition internationale du transfert de propriété).
Pour obtenir le prix livré chez vous, il faut donc ajouter le coût du transport de l’usine de ce fournisseur à votre usine et passer la douane. Mais ce n’est pas tout : qui dit stock vous appartenant depuis l’usine de votre fournisseur, dit également stock intégré dans le prix de votre police d’assurance annuelle.
Au-delà des aspects financiers purs, il faut prendre en compte 2 impacts indirects : le risque et le délai. Côté risque, vous allez vouloir optimiser la logistique en regroupant vos approvisionnements afin de remplir un conteneur maritime entier. C’est nettement moins cher mais s’il tombe à l’eau lors d’une tempête ou se retrouve bloqué dans un canal comme Suez : c’est un arrêt potentiel de votre production ! Côté délai, parcourir des milliers de kilomètres, cela prend du temps. Votre production et donc vos appros sont basés sur des prévisions. Que sait-on des prévisions avec le temps ? Observez la météo et vous avez la réponse : les erreurs augmentent avec le temps. Ce sera donc soit du stock manquant soit du surstock pour vos appros !
Le fournisseur Européen lui vous donnera vraisemblablement un prix franco de port (équivalent d’un incoterm DDP pour Delivered Duty Paid) donc directement le coût livré. Le risque lié à ce transport continental est très faible, le taux de service des transporteurs en Europe est > 99% et peu de camions se retrouvent dans le fond d’un ravin.
En final la différence de 25% constatée sur le prix est complètement effacée. De plus les crises successives ont impacté lourdement les coûts et les délais du transport maritime, augmentant ainsi le coût livré des fournisseurs «Low-Cost ».
Dernier aspect dont l’importance grandit avec la prise de conscience de l’épuisement des ressources planétaires : pensez-vous développement durable ? Quid de ce jean qui fait 4,5 tours de la planète ? Est-ce vraiment raisonnable de tout sacrifier sur l’autel de la finance à très court terme ?
Exemple pour le coût de possession :
Le coût de possession englobe le coût livré mais prend également en compte d’autres aspects des produits achetés comme : leur qualité, leur faculté à être livré à l’heure ou la robustesse du fournisseur.
2 fournisseurs proposent le même produit pour un coût livré relativement proche.
Ces 2 fournisseurs savent techniquement réaliser le produit et ce sont des fournisseurs fiables avec des performances stables dans le temps : 2 éléments clés à prendre en compte très tôt dans le choix de vos fournisseurs.
Comment les comparer ? Il faut projeter les coûts induits par d’autres aspects de leur performance : solidité financière, capacité à livrer des pièces conformes et capacité à livrer des pièces à l’heure. En effet conserver un fournisseur connu coûte environ 7 fois moins cher que de rechercher un nouveau fournisseur (déplacements, certification, habitudes non spécifiées, manque de repère et quelquefois chocs culturels …). Même si une pièce non conforme doit être détectée le plus tôt possible dans votre chaine de valeur, ce n’est pas toujours possible. Par exemple un moteur électrique asservi de moins de 100€ dont la conformité ne peut être détectée que lors de la recette finale. En cas de non-conformité, il faut alors démonter / remonter une partie de votre produit fini, et le coût induit n’a plus rien à voir avec les 100€ du prix d’achat ! Enfin, une pièce est livrée en retard et c’est tout le reste de votre nomenclature qui l’attend sur les étagères de votre stock sans parler de la replanification en catastrophe de votre atelier de production.
Alors comment procéder ? Par grande typologie d’achat, il faut développer un modèle approximatif mais qui permet des comparaisons simples côté achats.
Ainsi le coût de possession = coût livré + x € fonction du manque de solidité financière + y € fonction du pourcentage de pièces non conformes + z € fonction du pourcentage de commandes non livrées à l’heure + h € fonction de la réduction du délai d’appro. D’autres aspects peuvent être pris en compte comme la quantité minimale à commander (Minimum Of Quantity – MOQ en anglais). Sur certains marchés de la petite série où la consommation annuelle de certaines références peut être très faible, il n’est pas rare de voir des approvisionneurs passer commande de plusieurs dizaines d’années de consommation sans s’en rendre compte. Plus la société est de taille importante et plus ce genre de déboire arrive par manque de communication entre les services
En conclusion, attention aux comparaisons trop hâtives des prix entre eux pour atteindre les objectifs de « low-cost » de votre société et/ou de votre directeur des achats dont la part variable est peut-être indexée sur cet objectif !